PLF 2026 : la consécration du social et le défi du “comment dépenser” (El Mehdi Fakir)
« Exécuter pour exécuter, c’est dilapider l’argent public. » Derrière cette mise en garde, l’économiste El Mehdi Fakir pointe une faille majeure de la gestion budgétaire au Maroc : la confusion entre vitesse et efficacité. Invité de l’émission L’Info en Face, il appelle à une révolution dans la manière d’exécuter la dépense publique, où la qualité de l’action prime enfin sur le simple taux d’exécution. Pour lui, le véritable défi du PLF 2026 n’est pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux.
« Des signaux forts ont été envoyés », affirme-t-il, soulignant l’augmentation des dépenses allouées à la santé et à l’éducation, passées de 104 à 140 milliards de dirhams, ainsi que la création de 27.000 postes budgétaires destinés exclusivement à ces deux secteurs. Cette revalorisation record traduit, selon lui, « la consécration de la priorité sociale dans l’effort financier de l’État ».
Pour El Mehdi Fakir, cette orientation n’est pas une rupture mais « une accélération d’une dynamique déjà enclenchée depuis 2021 ». Il rappelle qu’entre 2021 et 2025, le budget de la santé a presque doublé, passant de 19 à 32 milliards de dirhams. Le PLF 2026 s’inscrit dans cette continuité, tout en cherchant à renforcer la gouvernance et la performance du système public.
L’expert insiste notamment sur la dimension structurelle de la réforme : « Nous ne sommes plus dans la logique du ministère de la Santé traditionnel. Aujourd’hui, nous avons une Haute autorité de santé, une agence du médicament, une agence du sang... C’est une refonte du modèle de gouvernance ». Cette nouvelle architecture vise, selon lui, à mieux canaliser l’investissement vers les infrastructures hospitalières, comme les CHU, tout en renforçant la qualité de l’exécution publique.
Mais si l’effort budgétaire est salué, Fakir met en garde contre une illusion comptable : « Exécuter tout court n’a aucun sens. Je préfère de loin bien exécuter que mal exécuter. » Pour lui, le taux d’exécution budgétaire ne suffit pas à mesurer la performance de l’action publique : « Exécuter pour exécuter, c’est dilapider l’argent public ». L’enjeu est donc qualitatif avant d’être quantitatif.
Dans cette perspective, il appelle à repenser le cadre de gestion des finances publiques. Le projet de réforme de la loi organique des finances (LOF) est, selon lui, une occasion cruciale pour « changer de logiciel » et renforcer la culture de l’évaluation : « Nous sommes mal outillés pour mesurer l’efficacité des dépenses publiques. Il nous faut des instruments robustes pour évaluer la performance et l’impact de chaque dirham dépensé. »
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Sur le plan macroéconomique, l’expert relativise les prévisions de croissance inscrites dans le PLF : « Se réjouir de 4 ou 4,5% de croissance, c’est un peu prétentieux. » Il estime que le taux normatif pour un développement durable est de 6% et appelle à « avoir le courage politique de le viser ».
Il souligne également le paradoxe d’une dépense publique en hausse (380 milliards de dirhams d’investissement annoncés) sans effet proportionné sur la création de richesse. L’analyste invite aussi à revisiter la commande publique et à dépasser les logiques bureaucratiques : « Le mieux-disant ne suffit plus. Il faut des formules plus agiles, comme les partenariats public-privé, qui ont prouvé leur efficacité dans certains domaines », citant l’exemple du partenariat public-privé dans la dialyse, initié en 2008, qui a permis d’élargir l’accès aux soins à moindre coût. Pour lui, « le Maroc doit changer de mindset » : il ne s’agit pas seulement d’augmenter les montants, mais de revoir les méthodes, la gouvernance et la responsabilisation des acteurs. « On ne peut pas continuer à dépenser de la même manière et espérer des résultats différents », prévient-il. Cette exigence de changement s’applique également à la relation entre le public et le privé. Fakir déplore que certains opérateurs économiques se contentent de consommer la commande publique sans réinvestir. Selon lui, la croissance ne peut émerger que d’un engagement collectif : « L’État fait sa part, mais il faut l’adhésion de tous, du citoyen à l’entreprise, pour que le pays avance. »
L’expert revient enfin sur la nécessité de dépasser les logiques politiciennes dans la gestion budgétaire : « Le PLF 2026 n’est pas un projet de gouvernement, c’est un projet d’État », insiste-t-il. Et de mettre en garde : « Il faut neutraliser cette année de toute considération électoraliste. Ce texte doit répondre aux attentes des citoyens, pas à celles des partis politiques. »
Entre responsabilité économique et débat public : la nécessité d’un sursaut collectif
Dans un passage plus critique, il pointe également « un problème chronique de communication » du gouvernement actuel : « Techniquement, il a des réalisations, mais il ne sait pas les marqueter. Gérer la chose publique, ce n’est pas gérer une entreprise. »
Le débat autour de l’investissement privé, de la fiscalité et du financement de l’économie nationale s’est intensifié ces dernières semaines, révélant des fractures profondes entre les attentes du secteur privé et les impératifs de l’État. Dans un contexte marqué par la préparation du projet de loi de finances 2026, la question de la confiance, du patriotisme économique et de la soutenabilité budgétaire s’impose plus que jamais au cœur du débat public.
L’idée d’un modèle « gagnant-gagnant », où chaque acteur tire profit du dynamisme collectif, séduit dans son principe. Mais sur le terrain, les réalités sont plus complexes. « Nous ne pouvons pas pousser quelqu’un à investir malgré lui », rappelle-t-on. La conviction, dans le monde de l’entreprise, ne se décrète pas ; elle se construit sur des signaux politiques clairs, des perspectives de stabilité et une visibilité économique durable. Le président de la CGEM, Chakib Alj, soulignait récemment deux freins majeurs à l’investissement privé : la difficulté d’accès au financement bancaire et la lourdeur des procédures administratives. Des constats que peu contestent, mais qui ne suffisent pas à eux seuls à expliquer le ralentissement de l’investissement productif.
Car, en réalité, le secteur privé marocain a longtemps bénéficié de l’appui de l’État. Des mécanismes d’aide publique, des exonérations et des lignes de crédit spécifiques ont été mis à disposition pour soutenir l’investissement. Pourtant, la création de valeur reste insuffisante. « À un moment donné, il faut un minimum de patriotisme économique », rappelle-t-on avec insistance. Investir dans son pays ne doit pas être perçu uniquement comme une opportunité de profit, mais aussi comme un devoir moral et collectif. L’État, de son côté, doit devenir un véritable prestataire de services : simplifier, accompagner, sécuriser. Mais le secteur privé doit, lui aussi, jouer son rôle et contribuer à l’effort national sans condition préalable.
Le débat autour de la contribution sociale de solidarité illustre bien cette tension entre équité et responsabilité. Reconduite jusqu’en 2028, cette taxe, qui génère environ 6 milliards de dirhams par an, continue de susciter des réserves dans les milieux patronaux. Pourtant, elle finance directement la protection sociale et répond à une urgence : celle de consolider un modèle encore fragile. « Ce n’est pas une taxe ordinaire », rappelle-t-on. « C’est un appel au patriotisme et à la responsabilité sociale des grandes entreprises. » Tant que le modèle social marocain ne sera pas stabilisé, cet effort restera nécessaire.
Les débats autour du budget 2026 révèlent aussi l’ampleur des défis à venir. La croissance prévue à 4,5%, l’inflation contenue à 2% et un déficit budgétaire ramené à 3% constituent des hypothèses ambitieuses. Mais certains économistes jugent ces prévisions difficilement tenables au vu des contraintes actuelles. Si le Maroc parvient à maintenir des conditions d’emprunt stables à l’international, c’est grâce à la crédibilité dont il jouit encore, mais cette marge de manœuvre n’est pas infinie.
La question du financement de l’économie rejoint ainsi celle de la confiance dans le système bancaire. Les banques, en déficit chronique de liquidité, peinent à mobiliser les dépôts nécessaires pour soutenir le crédit. Le problème n’est donc pas seulement administratif : il est aussi structurel. Si les entreprises investissent peu, c’est que le climat général reste marqué par une prudence excessive, voire par un certain attentisme. « Nous devons sortir de cette logique de revendication permanente », estime-t-on. « Revendiquer ne suffit pas. Il faut proposer, construire, s’engager. »
Le débat public, lui aussi, doit se renouveler. Trop souvent perçu comme un espace de confrontation stérile, il gagnerait à devenir un véritable outil de co-construction. Les blocages administratifs existent, certes, mais ils ne sauraient expliquer à eux seuls la lenteur du développement. Les procédures, parfois lourdes, répondent aussi à un besoin de sécurité et de contrôle. Des effondrements d’immeubles ou des projets bâclés rappellent les risques d’une dérégulation excessive. La solution réside donc dans une réforme intelligente, équilibrée et politiquement assumée.
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