Thèses à vendre: au cœur du marché noir de la recherche académique
De la licence au doctorat, une armée de prestataires vendent, à visage découvert, thèses, mémoires et publications scientifiques à des étudiants universitaires. Rédaction à la demande, soutenance incluse, contrat et livraison à domicile. Une industrie parallèle, banalisée, prospère sur le vide laissé par l’université. Reportage dans les coulisses d’un marché de la triche devenu ordinaire.
Il suffit de quelques mots-clés tapés sur un moteur de recherche ou sur les réseaux sociaux pour faire apparaître un écosystème foisonnant. Au Maroc, une multitude de pages Instagram, Facebook ou sites spécialisés proposent aux étudiants de prendre en charge la rédaction de leur mémoire de fin d’études, de leur thèse de doctorat, ou encore de leurs articles scientifiques. Les offres, très structurées, ciblent un large public: étudiants en master, doctorants, médecins en formation, mais aussi chercheurs souhaitant publier dans des revues indexées.
Les tarifs sont variables: entre 11.500 et 50.000 dirhams pour une «thèse clé en main», 500 à 1.400 dirhams pour une publication dans une revue scientifique internationale avec garantie contractuelle de succès. Parmi les prestataires recensés, certains affichent leur ancrage au Maroc, notamment à Casablanca ou Rabat, tandis que d'autres, enregistrés à l’étranger, assurent une présence continue via WhatsApp et des services clients réactifs. Tous insistent sur un point: travail original, pas de plagiat, confidentialité assurée. Ces offres sont visibles, assumées, et s’adressent sans filtre aux étudiants marocains: droit, médecine, économie, informatique, biologie, communication... tous les domaines sont couverts.
Une industrie en ligne, sous vos yeux
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La première offre s’appelle «accompagnement». Revue de littérature à huit mille dirhams, partie empirique à neuf mille. «On travaille à partir de votre problématique, on vous guide étape par étape», explique-t-elle. Il y a des séances en ligne, d’autres en présentiel ici, dans ce même bureau. Elle nous montre un planning imprimé, des notes sur des dossiers, quelques tableaux méthodologiques. À première vue, rien d’illégal: une aide méthodologique poussée, structurée, exigeante même. Mais très vite, un autre tarif est proposé. Mêmes prestations, mais cette fois «on s’en occupe entièrement». Seize mille dirhams pour la revue de littérature, dix-huit mille pour la partie empirique. Pas besoin d’écrire, ni même d’être là à chaque étape. «On vous tient au courant, vous validez, on avance», dit-elle simplement.
Étudiants sous pression, prestataires à l'affût
Une catastrophe institutionnalisée
Pour Mohammed Guedira, la réponse à apporter ne peut pas se réduire à des campagnes de sensibilisation ponctuelles ou à des discours d’éthique académique qui peinent à dépasser le stade des intentions, ce qui fait défaut aujourd’hui, explique-t-il, c’est avant tout une réponse politique claire, ferme, assumée, et un engagement coordonné de l’ensemble du corps universitaire, car la question dépasse largement le seul périmètre de l’université, «ce n’est pas qu’une affaire interne à l’enseignement supérieur, c’est une affaire de confiance publique», affirme-t-il, et pour cela il appelle à une mobilisation large, qui implique les enseignants, les administrations, mais aussi les parlementaires, afin que ce phénomène entre enfin dans le débat législatif et soit traité comme une priorité nationale. Il estime que certaines mesures doivent être prises sans attendre, à commencer par l’interdiction des services commerciaux de rédaction universitaire, y compris ceux qui se présentent sous le terme plus neutre d’«accompagnement», la sous-traitance des travaux académiques et le plagiat doivent être pénalisés clairement, y compris par des sanctions judiciaires dans les cas les plus graves.
Un aveuglement organisé ?
Fraude universitaire: un vide juridique inquiétant
Or le plagiat universitaire et la sous-traitance académique, qui constituent aujourd’hui un marché parallèle florissant, échappent presque totalement à ce cadre légal. Aucun texte spécifique ne pénalise la vente de thèses, mémoires ou articles scientifiques, ni ne définit clairement la responsabilité juridique des prestataires ou des étudiants commanditaires. Le Code pénal marocain reste muet sur la question et les établissements d’enseignement supérieur s’en remettent à leurs règlements internes, souvent disparates et peu appliqués. Certains établissements, comme l’INPT (Institut national des postes et télécommunications) ou l’Université Mohammed V, disposent certes de chartes anti-plagiat prévoyant des sanctions disciplinaires, allant de la note zéro à l’exclusion temporaire ou définitive, mais leur application demeure largement à la discrétion des commissions locales.
Ailleurs aussi, la sous-traitance académique inquiète
Les entreprises ciblent directement les étudiants avec des publicités sur Instagram, des spams par e-mail ou des messages privés sur LinkedIn. Plusieurs universités ont réclamé l’interdiction légale de ces pratiques, mais aucun cadre clair ne les sanctionne encore. En Nouvelle-Zélande, un prestataire chinois aurait, selon le New Zealand Herald, aidé plusieurs centaines d’étudiants à tricher, notamment dans des universités anglophones. Le scandale a éclaté après que des enseignants ont repéré des copies identiques, rédigées dans un style bien supérieur au niveau habituel des candidats. Même la Suisse, réputée pour son exigence académique, n’est pas épargnée. En 2015, l’Université de Saint-Gall a déposé plainte contre des étudiants ayant remis des mémoires rédigés par des tiers. Environ 200 cas étaient suspectés, selon la presse locale. EnChine, un autre versant du problème a été révélé: des universitaires eux-mêmes proposaient leurs services d’écriture, monnayant leur expertise à des étudiants ou à de jeunes chercheurs pressés de publier. Ainsi, sur le terrain des publications scientifiques, les paper mills (des entreprises spécialisées dans la fabrication d’articles de recherche sur commande) inquiètent de plus en plus les revues académiques. Des enquêtes récentes estiment que jusqu’à 20% des articles publiésdans certaines revues biomédicales pourraient être issus de ces usines à papier, selon une étude publiée par «Science».
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Mots Clés :
fraude académique | sous-traitance universitaire | plagiat | éthique scientifique | marché parallèle | recherche | encadrement pédagogique | réforme