Quand le Québec vide les hôpitaux africains de leurs infirmières
Quand le Québec vide les hôpitaux africains de leurs infirmières
Le recrutement par l’Occident de ressources humaines en santé dans les pays en voie de développement pose de sérieux problèmes éthiques. L’exemple du Québec est flagrant, a pu observer notre collaboratrice.
Députée libérale à Québec de 2007 à 2022, Christine St-Pierre a été ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, de même que ministre des Relations internationales et de la Francophonie. Journaliste à Radio-Canada de 1976 à 2007, elle a été courriériste parlementaire à Québec et à Ottawa, puis correspondante à Washington.
La question de l’exode des cerveaux (ou, comme on préfère diplomatiquement l’appeler, la « mobilité des compétences »…) n’est pas nouvelle. Et j’ai pu constater de près que les efforts du Québec pour attirer des travailleurs étrangers ne sont pas toujours bien vus de l’autre côté de la clôture…
Lors du XVIe Sommet de la Francophonie, à Madagascar, en 2017, le premier ministre Philippe Couillard avait fièrement annoncé une aide de 3,5 millions de dollars pour faciliter les séjours au Québec des étudiants francophones des pays du Sud. J’étais très fière de cette annonce, à titre de ministre des Relations internationales et de la Francophonie.
Mais une fois sur le terrain, je l’ai vue d’un autre angle. Quelle ne fut pas notre surprise, durant un point de presse commun avec Marie Monique Rasoazananera, alors ministre malgache de l’Enseignement supérieur, d’entendre celle-ci s’inquiéter : « C’est un gros souci et aussi un travail à faire que de faire revenir ces étudiants, ces jeunes qui ont eu leur diplôme là-bas, avec tout ce qu’ils ont autour, l’environnement, le confort. »
Elle avait en partie raison, car notre objectif inavoué était d’en retenir un certain nombre au Québec.
Nous aurions dû avoir été mieux préparés à cet accueil plutôt froid envers notre « contribution » — qui n’était pas du tout perçue comme cela. On ne peut que comprendre cette réaction. Madagascar est l’un des cinq pays les plus pauvres de la planète.
J’ai pensé à cet événement en lisant récemment dans Le Devoir les déclarations des ambassadeurs du Maroc et du Bénin qui se sont livrés à une critique des méthodes de recrutement du Québec dans leurs pays respectifs, spécialement dans le secteur de la santé. Le Béninois Jean-Claude do Rego parlait d’un pompage « cynique » de ressources humaines. Quant à l’ambassadrice du Maroc, Souriya Otmani, elle qualifiait le tout de « perte sèche ».
Pour un pays en plein développement comme le sien, aux prises avec une inquiétante pénurie en santé, « il devrait y avoir une certaine retenue », croit-elle. Elle a trouvé particulièrement choquante l’annonce d’une séance d’information tenue à Casablanca… trois jours après le tremblement de terre dans le sud-ouest de Marrakech, qui a fait 2 900 morts et 5 600 blessés en septembre dernier.
Lors d’un entretien que j’ai eu avec elle, l’ambassadrice Otmani m’a confirmé que sa sortie n’était pas passée inaperçue. « Les autorités gouvernementales québécoises ont réagi à la suite de la publication de l’article, et cela est tout à leur honneur, vu les importants liens de coopération multisectorielle et l’amitié qui existent entre le Maroc et le Québec. »
L’ambassadrice comprend les raisons qui poussent des compatriotes à s’exiler : « l’envie d’une carrière prometteuse, la quête d’une meilleure rémunération, la recherche d’une reconnaissance, le besoin de vivre une nouvelle expérience, d’avoir une meilleure qualité de vie », énumère-t-elle.
« Il est certain qu’on ne peut en aucune manière empêcher la personne qui souhaite s’installer et tenter sa chance à l’étranger de le faire. Mais à la condition qu’elle le fasse de manière volontaire et responsable… Quand il y a débauchage et recrutement qualifié par certains de “sauvage”, il y a alors là un grave problème, et des questions de moralité et d’éthique qui ne peuvent que nous interpeller et nous faire légitimement réagir », dit-elle en abordant plus largement la situation, et pas que le seul cas du Québec et du Maroc.
La sortie a fait jaser dans le milieu politique, car lorsqu’un diplomate parle publiquement, c’est au nom de son pays qu’il le fait. Cela n’étonne pas le député libéral de Nelligan, Monsef Derraji, qui est d’origine marocaine. Il qualifie ces déclarations de « coup dur » pour la réputation du Québec. « Je n’ai jamais vu une intervention pareille contre le Québec de la part de diplomates. Les recruteurs vident les écoles, les hôpitaux. Le ministère des Relations internationales doit s’en mêler, il ne peut plus jouer sur le banc. »
Je connais personnellement le cas d’Alya*, une infirmière d’origine marocaine qui travaille depuis 15 ans dans la région de Montréal et gagne environ 80 000 dollars par année. Ce n’est pas toujours facile, mais elle est heureuse ici. Surtout lorsqu’elle compare ses conditions de travail avec celles de sa sœur Inaya*, elle aussi infirmière. Au Maroc, cette dernière gagne un salaire annuel d’à peine 25 000 dollars, avec 10 ans d’expérience.
Ce pays, dont 82 % de la population est francophone, représente donc un excellent bassin naturel d’immigration pour le Québec. Des personnes comme Inaya pourraient très bien être tentées de faire le saut. Le gouvernement du Québec le sait, et c’est pourquoi il organise une mission de recrutement les 17 et 18 février prochains.
Depuis la fin de la pandémie, le Québec dépense ainsi des millions de dollars dans le recrutement de travailleurs à l’étranger — pour une foule de domaines, dont celui de la santé. Tout comme en France et en Belgique, le gouvernement s’est lancé dans de grandes campagnes de séduction dans les pays d’Afrique francophone, notamment le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo. Les représentations du Québec à l’étranger sont mises à contribution, mais le gouvernement finance aussi les missions de Montréal International et de Québec International. Il a également créé Recrutement Santé Québec, qui accompagne les candidats et établissements durant les démarches de recrutement et d’immigration.