
Où creuser pour trouver les pépites de la ruée vers l’IA?
Depuis un an et demi, les marchés boursiers sont pris par la fièvre de l'essor fulgurant de l'intelligence artificielle (IA). Mais cet amour fou ne s’alimente pas de rêves ou de vains espoirs. Le rallye boursier lié à l'IA s'appuie bel et bien sur une véritable vague d'investissements gigantesques visant à stimuler la productivité ou simplement à nous faciliter la vie.
Le cabinet d'études Statista estime ainsi que les entreprises ont dépensé, à l’échelle du monde, plus de 200 milliards de dollars dans l'IA générative en 2023, soit un bond de près de 50% en un an, avec en tête les secteurs de la banque et de la vente au détail. Le marché, estimé à 306 milliards de dollars en 2024, passerait à 1.800 milliards de dollars d'ici à 2030.
Aujourd’hui, le principal fournisseur IA de la cour des grands de la tech est sans conteste Nvidia.
À la pointe de ce développement, on retrouve les grands noms de la technologie tels que Microsoft, Alphabet, Meta, Amazon ou Oracle. Ils utilisent des applications d'IA comme supports à leurs ventes et à leurs centres cloud. Mais les entreprises qui en tirent le plus grand profit pour l'instant sont celles qui fournissent l'équipement nécessaire à l'essor de l'IA. Tels les fabricants des "pioches et des pelles" de la ruée vers l'or en Californie au milieu du XIXe siècle, qui ont fourni les outils indispensables aux centaines de milliers de chercheurs d'or.
Aujourd’hui, le principal fournisseur de la cour des grands de la tech est sans conteste Nvidia. L'entreprise détient le quasi-monopole des puces puissantes et ultra-rapides nécessaires aux immenses parcs de serveurs qui font tourner les modèles d'apprentissage de l'IA. Ce mois-ci, Nvidia a ainsi dépassé Alphabet, la maison mère de Google, et le géant du commerce électronique Amazon en termes de capitalisation boursière. Seuls Microsoft, Apple et Saudi Aramco valent (encore) davantage.
Mercredi soir, les résultats trimestriels de Nvidia ont pulvérisé les attentes, pourtant déjà élevées. Le chiffre d'affaires a augmenté en un temps record de 265% pour atteindre 22,1 milliards de dollars. Le bénéfice par action a été multiplié par plus de 5 pour atteindre 5,16 dollars, alors que le consensus du marché n’était "que" de 4,60. Les investisseurs attendaient aussi fiévreusement les perspectives pour cette année. Et là aussi, ils ont été bluffés, avec une prévision de ventes de 24 milliards de dollars pour le trimestre en cours.
"Certains investisseurs sont à présent pris de vertige, estimant que l'action Nvidia est trop chère. Erreur fatale de raisonnement."
Ceci n’est pas une bulle
Après ces annonces, le cours de l’action a grimpé de 16% pour établir un nouveau record. Et plus spectaculaire encore, la capitalisation boursière de l’entreprise s’est bonifiée de 277 milliards de dollars, ce qui représente la plus forte augmentation jamais enregistrée en une séance pour une société cotée. Multipliée par cinq depuis le début de l'année, la valeur de Nvidia a même franchi le cap des 2.000 milliards de dollars à l'ouverture de Wall Street ce vendredi.
Certains investisseurs sont à présent pris de vertige, estimant que l'action Nvidia est trop chère. Erreur fatale de raisonnement. Comme les bénéfices de Nvidia augmentent encore plus vite que le cours de son action, cette dernière est en réalité devenue moins chère", fait remarquer James Demmert, stratégiste en chef chez Main Street Research. "Depuis le milieu de l'année dernière, le ratio cours/bénéfice de Nvidia est en baisse. Il ne s'agit en aucun cas d'une bulle spéculative. Les chiffres justifient cette ascension fulgurante."
"Si le marché a bien conscience que cette croissance ne peut durer éternellement, les chiffres lui démontrent en tout cas que l'IA pénètre tout le monde des affaires", renchérit David Wagner d'Aptus Capital. "Les années 2024 et 2025 seront également très porteuses à cet égard. L'IA est là pour durer."
Et Peter Garnry, économiste en chef de Saxo Bank, de pointer les marges bénéficiaires plantureuses de Nvidia: "Le groupe dégage une marge nette de 55,6%. Aucune autre entreprise technologique dont la valeur de marché est supérieure à 100 milliards de dollars n'est aussi rentable."
Jensen Huang, CEO et cofondateur de Nvidia, voit les choses en grand: "Nous vivons une révolution qui nous fait passer de l'informatique générale à l'informatique accélérée. Que ce soit pour la vitesse, l'efficience énergétique et les coûts, tout s’améliore considérablement. Tous les data centers du monde seront modernisés. Nos superordinateurs sont les usines génératrices d'IA de cette révolution industrielle."
Pour en profiter à plein, Nvidia peut en tout cas s’appuyer sur de puissants avantages compétitifs comme sa taille et son expérience dans les jeux vidéo, qui nécessitent des puces informatiques similaires. Mais d'autres acteurs tentent de s'approprier une part de ce gâteau lucratif. AMD se présente comme le principal concurrent. Mais, au-delà des promesses, les résultats ne suivent pas. Les commandes de ses puces MI300, destinées à damer le pion à Nvidia, restent inférieures aux attentes. Et ses prévisions de ventes de puces dans l'électronique et les consoles de jeu font également pâle figure.
Un trio d’acteurs très prometteurs
"Nvida est une entreprise formidable, mais le cours de son action intègre un scénario très optimiste", tempère l'analyste Timm Schulze-Melander de la maison d'investissement Redburn Atlantic. "Certains fournisseurs de puces IA semblent plus intéressants. En particulier, les acteurs actifs dans la technologie GAA (Gate All Around), qui permet aux transistors d'établir des contacts de tous les côtés, ont une avance substantielle. Ils augmentent fortement la puissance de calcul."
Le trio de tête dans ce domaine est constitué des fabricants de plaquettes KLA Corp, ASM International et Lam Research. Ces trois entreprises disposent d'une avance technologique et sont beaucoup plus diversifiées que l'univers de l'IA, ce qui leur confère un profil de risque moins élevé. Au cours des 3 à 5 prochaines années, le trio devrait être en mesure d'afficher une croissance supérieure des bénéfices.
"Le secteur des puces va connaître une montée en puissance cyclique à partir de la seconde moitié de 2024. Nous voyons les premières pousses vertes dans les marchés finaux", poursuit Timm Schulze-Melander. "Nous constatons également que les fabricants de puces veulent poursuivre leur intégration verticale, pour moins dépendre des fournisseurs, ce qui les amènera à acheter plus de machines. Applied Materials peut en bénéficier." L'analyste pointe encore la surcapacité dans le secteur en estimant qu'elle pourrait bientôt être comblée.
Applied Materials est le plus grand fournisseur mondial d'équipements pour semi-conducteurs après la société néerlandaise AMSL, qui occupe une position unique et est l'une des valeurs préférées de Colombia Threadneedle. Harry Waight, gestionnaire d'actifs, explique: "ASML est l'acteur dominant dans le domaine des machines de lithographie sophistiquées pour la fabrication des puces. Sans ces machines qui dessinent des circuits sur les semi-conducteurs à l'aide de la lumière, la miniaturisation des puces est impossible. Chacune de ces machines coûte des centaines de millions de dollars, pèse 180 tonnes et est transportée vers les clients dans 40 conteneurs sur plusieurs avions. Une fois sur place, une équipe d'ASML est nécessaire pour la maintenance. Les machines sont si sophistiquées que, depuis la Lune, elles pourraient toucher votre pouce avec un laser."
L’action ASML se traite à 46 fois les bénéfices, mais, du fait de son quasi-monopole, la société est rarement bon marché en bourse. Sa technologie est si complexe que la barrière à l'entrée pour les concurrents est presque infranchissable.
L'action de haut vol de Duiven
L’action du groupe Besi, le troisième fabricant de puces néerlandais de l'indice AEX, a bondi jusqu'à 15% jeudi, après d’excellents résultats trimestriels, dont une hausse de 37% de ses bénéfices. L'entreprise basée à Duiven pointe le boom de l'IA pour expliquer la forte demande pour ses machines sophistiquées.
Besi est le leader mondial de l’"hybrid bonding", un processus de collage complexe à la fin de la chaîne de fabrication des puces, au cours duquel les puces et les plaquettes sont nettoyées, reliées par des fils, recouvertes d'une couche protectrice et emballées. Les puces d'intelligence artificielle à haute performance nécessitent cette nouvelle technologie qui permet davantage d'interconnexions que le "wire bonding "traditionnel.
Besi cote à 50 fois les bénéfices. De nombreux analystes trouvaient déjà son cours trop élevé lorsque l'action, qui a été très cyclique dans le passé, se situait à la moitié de son niveau actuel. Marc Hesselink, analyste chez ING, est à l’achat sur le titre: "Le carnet de commandes s'étoffe plus que prévu, même si les prévisions pour le premier trimestre sont un peu moins toniques. Besi estime que nous nous trouvons à nouveau dans les premiers stades d'une progression cyclique. Les nouveaux systèmes de collage hybrides offrent des marges plus élevées, ce qui soutiendra les résultats."
Le plus gros client de Besi est le géant taïwanais de la fabrication de puces TSMC. Harry Waight est un fan: "Tous les trois mois environ, la puissance de calcul nécessaire pour entraîner les grands modèles d'IA double. Les puces nécessaires à cet effet - y compris la plupart de celles de Nvidia - sortent des usines de TSMC."
ARM Holdings se positionne déjà pour les puces d'IA de la prochaine génération
L'action a déjà pris plus de 60% cette année, ce qui s'explique aussi par son flottant réduit. À peine un dixième des actions est coté en bourse. À 108 fois les bénéfices prévus pour cette année, ARM est follement chère. Son homologue du secteur, Synopis, est un peu moins risqué, à 40 fois les bénéfices.
Super Micro Computer
Super Micro Computer (SMC) évolue désormais à des niveaux boursiers stratosphériques. Cette année, son cours a déjà grimpé de 158% en à peine deux mois. Et depuis 2020? Multiplié par 35! SMC est le passage obligé pour les parcs de serveurs haut de gamme. L'entreprise développe et fabrique les serveurs, jusqu'aux cartes mères, au refroidissement et aux racks. Elle possède des usines dans la Silicon Valley, à Taïwan et aux Pays-Bas. L'entreprise entretient de bonnes relations avec Nvidia, ce qui lui permet de se procurer facilement les dernières puces. L'année dernière, Charles Liang, le patron de SMC, et Jensen Huang, le CEO de Nvidia, ont présenté en duo les nouveaux produits des deux entreprises. Les serveurs d'intelligence artificielle ont besoin de cinq à six fois plus de puissance de calcul que les serveurs ordinaires.
En décembre, le magazine Barron's a épinglé SMC comme l'une des trois meilleures actions susceptibles de bénéficier de l'essor de la construction de data centers IA, aux côtés de Nvidia et du fabricant d'infrastructures de serveurs Vertiv. À l'époque, l'action se négociait à un modeste 15 fois les bénéfices prévus pour 2024. Depuis, le cours de l'action a doublé et SMC est l'une des valeurs qui font le plus de buzz sur les réseaux sociaux.
"Si son parcours ressemble à celui d’un météore, son décollage est justifié", estime Tae Kim, analyste tech chez Barron's. "Le consensus des analystes et les propres prévisions de Super Micro Computer se sont révélés bien trop conservateurs. SMC a revu ses prévisions à la hausse dès la mi-janvier, puis à nouveau à peine deux semaines plus tard. Les ventes devraient augmenter de 40% pour atteindre 14,5 milliards de dollars cette année. Selon le management, la demande reste bien supérieure à l'offre. SMC jouit d'une excellente réputation auprès des principaux fabricants de puces. Intel et AMD se sont d'ailleurs réjouis de leurs bonnes relations avec Super Micro Computer lors de la présentation de leurs derniers produits."
"Dans quelle mesure, la flambée du cours de SMC se justifie-t-elle? Tae Kim cite une maxime bien connue de Steve Mandel, fondateur du groupe de fonds spéculatifs Lone Pine: "Pour les entreprises en hypercroissance, estimez les bénéfices dans deux ans. Achetez l’action si son cours se traite à 25 fois (ou moins) ces bénéfices futurs." Pour Super Micro Computer, cela reviendrait à 32 dollars de bénéfice par action. Si l'on multiplie ce chiffre par 25, on obtient 800 dollars, soit un niveau inférieur au cours actuel de l'action, qui est proche de 1.000 dollars.
Le détenteur de parts SMC doit en tout cas avoir le cœur bien accroché. À la fin de la semaine dernière, le cours de l'action a chuté de 20% en une seule séance, juste après avoir atteint un record. En cause: l’avis mitigé ("conserver") avec lequel Wells Fargo avait entamé son suivi du titre. Mais, jeudi, l'action avait rebondi de 30%.
Refroidissement
Vertiv, le troisième "top pick" de Barron's, s'est développé à coups de fusions et d'acquisitions. Au départ, tout petit fabricant de climatiseurs pour salles informatiques, il emploie désormais 27.000 personnes dans 130 pays. Vertiv fournit des systèmes d'énergie et de refroidissement, de monitoring et d'autres infrastructures informatiques pour les data centers et les télécommunications. Cette action a également vu son cours doubler ces derniers mois.
"À 27 fois les bénéfices, Vertiv est une voie alternative bon marché pour participer à la révolution de l'IA", estime Goldman Sachs. Avec 91% de recommandations d'achat, c'est l'un des acteurs de l’IA les plus prisés par la communauté des analystes.
En 2017, Vertiv a vendu sa branche Asco, spécialisée dans les interrupteurs de grande puissance, au français Schneider Electric pour 1,25 milliard de dollars. Cette entreprise profite également à plein de la construction de data centers, comme fournisseur principal de systèmes d'alimentation électrique. "L'IA est un catalyseur important de la demande pour nos produits. Nous voyons ainsi nos ventes en Amérique du Nord augmenter très fortement", a indiqué l'entreprise lors de la publication de ses résultats annuels la semaine dernière. Pour ce groupe, l'essor des centres de données et des réseaux électriques a permis de compenser le ralentissement dans le secteur de la construction.
Toutes les entreprises ne satisferont pas les attentes les plus élevées. Celles qui y échoueront seront massacrées en bourse.
Autre fournisseur de la révolution IA: Arista Networks, qui fabrique des commutateurs de réseau permettant aux milliers de serveurs dans les racks des data centers de communiquer entre eux plus rapidement à très grande échelle.
Mais toutes les entreprises ne satisferont pas les attentes les plus élevées. Celles qui y échoueront seront massacrées en bourse, victimes de leur valorisation (trop) élevée. Voyez. C3.ai, dont le cours a triplé au début du boom de l'IA simplement parce que les deux lettres magiques figurent dans son nom. Le cours de son action végète actuellement à 85% en dessous de son record d'il y a trois ans. L'entreprise a développé une plateforme pour concevoir des applications d'IA, mais accumule les pertes.
"L'IA est la prochaine révolution technologique, mais de nombreux titres qui y sont liés ont atteint les proportions d'une bulle", avertit Yanev Suissa, fondateur du groupe de capital-risque SineWave Ventures, dans une interview accordée à Bloomberg. "Je m'attends à ce que cette bulle éclate dès cette année."
Peter Garnry (Saxo Bank) recommande de prendre une partie de ses bénéfices: "Les investisseurs devraient commencer à envisager de réduire un peu leur exposition à la technologie américaine à la lumière des récentes progressions extraordinaires des actions du secteur."
Pour l'instant, le rallye se poursuit. "Tant que la musique joue, continuez à danser", a dit un jour le légendaire patron de Citigroup, Chuck Prince. Mais dansez peut-être un peu plus près de la sortie.
Mots Clés : marchés boursiers, intelligence artificielle, investissements, Nvidia, capitalisation boursière.