La rentrée universitaire 2025 au Maroc ravive le débat sur l’avenir de l’Université face aux réformes structurelles et aux bouleversements numériques. Alors que le projet de loi-cadre n°54.29 soulève craintes et grèves, la question de la place des enseignants-chercheurs et de l’autonomie des universités se pose avec acuité. Entre risques de privatisation, fragilité numérique et défis de l’intelligence artificielle, la gouvernance universitaire est appelée à concilier légitimité académique et exigences d’innovation. Le point de vue du Dr Az-Eddine Bennani, professeur en gouvernance, stratégie digitale et intelligence artificielle.
La rentrée universitaire 2025 au Maroc s’ouvre sur un climat de grèves et de crispations. Les syndicats rejettent le projet de loi-cadre n°54.29, perçu comme une menace pour la gratuité de l’enseignement, l’égalité des chances et la mission publique de l’Université. En France aussi, les réformes universitaires suscitent régulièrement des inquiétudes autour de l’autonomie financière, de la gouvernance et du risque de privatisation. Mais au-delà des contextes nationaux, un même défi émerge : comment repenser l’Université à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle ?
L’hypothèse d’une marginalisation des enseignants
Le projet marocain introduit deux nouveaux organes de gouvernance – le Conseil des administrateurs et le Conseil de l’Université. Leur composition, telle qu’elle est décrite, suscite l’hypothèse d’une marginalisation des enseignants-chercheurs. Avec une représentativité réduite et un rôle parfois limité au consultatif, les universitaires pourraient être relégués à l’arrière-plan de la prise de décision.
Cette hypothèse inquiète d’autant plus que l’ère de l’IA impose de repenser profondément les missions de l’Université. Les enseignants-chercheurs, porteurs de la légitimité scientifique et pédagogique, devraient être placés au cœur des décisions afin d’accompagner la transition numérique et cognitive. Leur mise à l’écart – même potentielle – affaiblirait la capacité de l’Université à rester un lieu de production et de transmission du savoir critique.
L’autonomie : levier ou fragilité numérique ?
En prônant l’autonomie contractuelle des universités, le texte ouvre un autre débat. Cette autonomie pourrait être une opportunité si elle permettait plus de souplesse et d’innovation. Mais elle risque aussi de générer une fragilité numérique : contrainte de trouver ses propres financements, l’Université publique pourrait être entraînée dans une logique de marché, accentuant sa dépendance vis-à-vis des grandes plateformes technologiques et brouillant sa mission de service public.
Une gouvernance à double expertise
L’hypothèse de marginalisation des enseignants révèle une faiblesse plus profonde : la gouvernance universitaire doit conjuguer deux types d’expertises.
- Une expertise académique, pour garantir la qualité scientifique, l’innovation pédagogique et l’ancrage culturel.
- Une expertise professionnelle et économique, pour articuler l’Université aux besoins réels du pays, à l’emploi, à l’innovation et à la souveraineté numérique.
Pour une souveraineté cognitive partagée
La réforme devrait être construite autour de trois principes :
1. Un dialogue sincère et inclusif avec toutes les composantes de l’Université.
2. Une évaluation critique de la loi 01.00 avant toute refonte.
3. Une vision numérique et cognitive, où l’IA devient un levier de souveraineté et non une source de dépendance.
En posant l’hypothèse de marginalisation des enseignants, le débat ne se limite pas à une querelle syndicale. Il interroge la capacité de l’Université marocaine à rester un lieu de savoir, d’innovation et de critique, à l’heure où l’intelligence artificielle redéfinit la connaissance et le rôle même de l’éducation.
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Mots Clés : Enseignement supérieur | Réformes | Numérique | Intelligence artificielle | Enseignants-chercheurs | Autonomie | Gouvernance | Souveraineté cognitive