Bourses de la formation professionnelle : l’OFPPT et sa tutelle à couteaux tirés
Ce qui relevait d’un simple dispositif de versement de bourses s’est retrouvé au cœur d’un profond désaccord entre le ministère de l’Emploi et l’OFPPT. Chacun attribue à l’autre la responsabilité des dysfonctionnements, transformant un dossier technique en controverse publique. Au-delà du différend, c’est la gouvernance financière et opérationnelle de la formation professionnelle qui se retrouve questionnée.
Le climat est nettement tendu entre le ministère de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences et l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail. Au cœur de la discorde, notamment, la gestion et le versement des bourses destinées aux stagiaires de la formation professionnelle. Ce qui pouvait paraître comme un simple réajustement administratif s’est transformé en polémique publique, où chacun semble défendre sa version des faits, laissant en suspens une question. Où se situe réellement la responsabilité ?
Le point de discorde
Tout commence lorsque le ministre Younès Sekkouri, lors de la présentation du projet de budget de son département devant la Chambre des représentants, met en cause la méthode de gestion des bourses, assurée jusqu’ici par l’OFPPT. Il évoque des dysfonctionnements persistants et avance un chiffre lourd: 40.000 stagiaires ne percevraient pas leur bourse dans les délais.
Le ministère annonce alors avoir «retiré» la gestion du dispositif à l’Office, pour instaurer un process revu de fond en comble et centralisé au niveau de la tutelle. Des propos auxquels l’OFFPT a aussitôt réagi, répondant point par point aux déclarations du ministre. D’emblée, l’Office réfute l’idée d’une mauvaise gestion et rappelle que, depuis 2017, la répartition des rôles était clairement définie avec le ministère.
L’Office se présentait alors comme simple opérateur du versement, sur la base de listes de bénéficiaires validées en amont par les services du ministère. Dans cette logique, l’OFPPT insiste qu’il ne décide ni du nombre de bénéficiaires, ni des montants, ni du calendrier de financement, et ne fait qu’exécuter.
Selon l’Office, plusieurs années de versements se sont déroulées normalement, parfois dans des délais courts, parfois avec des ajustements, mais sans interruption. Entre 2017 et 2022, les versements se font par tranches successives, touchant entre 30.000 et 80.000 stagiaires selon les années. Ainsi, en juin 2020, la troisième tranche de l’année 2019-2020 a été versée à 36.209 bénéficiaires, pour un montant de 56,38 millions de dirhams. Un an plus tard, en juillet 2021, ce sont plus de 30.000 stagiaires qui perçoivent la troisième tranche de l’année 2020-2021, pour un total de 51,2 MDH.
De même, en mars 2022, l’OFPPT annonce le versement des deux premières tranches pour l’ensemble des boursiers. Ces chiffres montrent un dispositif qui fonctionnait, mais dont le rythme dépendait d’une coordination administrative constante. L’établissement de formation professionnelle souligne que les retards observés ne relèveraient pas de sa responsabilité, mais seraient liés à la validation tardive des listes et au transfert des fonds par le ministère.
L’Office affirme même avoir mobilisé ses propres ressources afin d’éviter des interruptions dans le versement. Près de 296 MDH, soit environ 30% de l’enveloppe totale estimée à 968 MDH, ont été débloqués entre 2017 et 2025.
Dans ce cas de figure, suivant quel process, une institution publique peut-elle, sans visibilité budgétaire, financer sur fonds propres une mission qui relève en principe de la politique sociale de l’État ? Une interrogation qui reste en suspens, car la direction générale de l’OFPPT demeure injoignable pour nous éclairer sur ces détails «techniques».
Pourtant, dans son dernier rapport d’activité datant de 2017, date à laquelle l’Office a changé de tutelle pour passer dans le giron du ministère de l’Emploi à la place du ministère de l’Enseignement supérieur, l’établissement affirme qu’il n’a pas eu recours à la subvention de l’Etat pour 7 années consécutives.
Qui est responsable ?
Pour le ministère, la situation des bourses exigeait une remise à plat. Pour l’OFPPT, elle appelle d’abord une clarification des responsabilités. Le désaccord révèle peut-être une autre dimension, plus profonde, celle de la gouvernance financière. Notons que le communiqué de l’OFFPT soulève un autre point culminant, celui de son budget. L’Office souligne que son budget 2025 n’a été validé qu’en avril, alors que son programme annuel requiert près de 500 MDH.
De plus, la première tranche des financements n’aurait toujours pas été reçue à ce jour. Par ailleurs, sans l’intervention du ministère des Finances, il aurait été impossible de poursuivre le programme d’expansion des «Cités des métiers et des compétences» dans plusieurs régions. Quoiqu’il en soit, la situation mettrait en lumière un problème structurel.
Les procédures resteraient longues, les validations passeraient par plusieurs niveaux et aucun calendrier public ne serait véritablement garanti. Sans mécanismes de contrôle indépendants, les soupçons de retard pourraient perdurer. Des audits et des rapports permettant de retracer clairement la chaîne de décisions et les éventuelles défaillances apporteraient probablement un éclairage à ce quiproquo.
La polémique pose une dernière question, peut-être la plus délicate : derrière un différend administratif, assiste-t-on à une recomposition de la gouvernance de la formation professionnelle elle-même ? Un conflit de méthode plus que de responsabilité ? Dans une affaire où chacun affirme servir l’intérêt des stagiaires, l’essentiel reste pourtant à clarifier comment garantir durablement le versement des bourses, sans rupture, sans flou et surtout sans tension institutionnelle ?
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