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Analyse – La tradition orale amazighe du Rif

Après l’indépendance du Maroc en 1956, le gouvernement a offert à la population pauvre du Rif la possibilité d’aller travailler en Europe en pleine construction après la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui avait besoin de bras solides pour reconstruire son économie. Les femmes, véritables gardiennes de la culture orale amazighe et des bibliothèques ambulantes, sont restées sur place. Malheureusement, comme peu de jeunes Amazighs de la région allaient à l’école, la recherche en langue traditionnelle et du savoir coutumier était d’une importance secondaire pour eux, car seule une poignée d’entre eux avaient atteint l’enseignement supérieur. Peu à peu, ces dépositaires « vivants » du savoir traditionnel ont commencé à mourir de vieillesse et, avec eux, est disparu, pour toujours, un patrimoine oral aussi important autant pour le Rif, en particulier, que pour le Maroc, en général.

 

Les institutions nationales de recherche et les organisations internationales telles que l’UNESCO sont donc appelées à sauver immédiatement ce savoir humain immatériel en fournissant des fonds pour mettre en place des programmes de recherche afin d’encourager les chercheurs en sciences sociales à entreprendre des recherches sur le terrain pour enregistrer audio/vidéo ce savoir et sauvegarder cet important héritage pour l’humanité.

Le présent travail est le résultat de plus de quarante ans de recherche sur le terrain dans la région du Rif. Il a été réalisé avec des informateurs féminins par le biais d’entretiens sur le terrain menés sur de longues périodes de temps afin de vérifier et de revérifier les informations utiles reçues. Ces discussions, menées en dialecte local tamazight dans la région du clan Iharrassen de Gzennaya, dans les environs des village d’Ajdir, d’Ain Hamra et de Boured, ont porté sur des sujets tels que : l’histoire orale, la technologie locale, la médecine traditionnelle, les connaissances anthropologiques et la littérature orale. 

Le résultat direct de cet humble travail est que le savoir traditionnel amazigh est illimité, instructif, sophistiqué et extrêmement utile, ce qui a été fidèlement reflété dans les ouvrages d’anthropologues américains renommés du siècle dernier, à savoir Carleton S. Coon dans Tribes of the Rif (Harvard African Studies, 1931) et David Hart dans The Aith Waryaghar of the Moroccan Rif : An Ethnography and History (University of Arizona Press, 1976). 

La culture du peuple amazigh au Maroc, avec toutes ses influences méditerranéennes, arabes, africaines, orientales, européennes et internationales, est particulièrement caractérisée dans le Royaume par :

– un lien indéfectible avec la terre ;

– Un lien fort avec le sacré ; 

– Une grande convivialité et une hospitalité chaleureuse ; et

– Un sens aigu de la communauté…

La culture amazighe et la reconnaissance officielle

Les Amazighs, considérés comme les descendants et les ancêtres de la plupart des tribus nomades et sédentaires du Maroc, ont une histoire qui fait la fierté du Royaume, caractérisée catégoriquement par la promotion des arts phonétiques, la richesse idéologique et culturelle de leur communauté, l’amour inconditionnel de la terre et de ses récoltes, et la maîtrise des outils de transmission et de préservation du patrimoine traditionnel, matériel et immatériel, qui perdure et survit depuis des milliers d’années, probablement 8000 ans. 

La transcendance de la civilisation amazighe au Maroc est également démontrée par la pratique linguistique quotidienne de cette langue maternelle par de nombreux Marocains aujourd’hui, reflétant leur attachement idéologique et culturel à la civilisation amazighe millénaire. Du point de vue des citoyens et des usagers, elle reste un attribut primordial de leur valeur identitaire centrale. 

C’est pourtant l’engagement du Royaume depuis le discours royal d’Ajdir du 17 octobre 2001, par lequel l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) a été créé via le dahir n°1-01-299 pour promouvoir la démocratisation de l’amazighité et la promotion de sa culture dans toutes ses expressions aux niveaux national, régional et local. Cette tendance se traduit par la remise à plat des différentes facettes du développement humain du citoyen, qui n’est nullement censé ignorer l’émancipation culturelle et linguistique, laquelle ne peut se réaliser sans la mise en place d’un arsenal social, juridique et idéologique efficace, répondant nécessairement aux obstacles culturels auxquels font face, avec résilience, les Marocains d’aujourd’hui.

Avec l’avènement du nouveau millénaire, la langue amazighe est devenue un élément du patrimoine culturel national, car elle concerne tous les Marocains. Le processus d’intégration de l’amazigh dans le patrimoine marocain nécessite un ensemble d’actions concertées pour intégrer progressivement et pleinement la langue dans le courant linguistique marocain.

Femmes rifaines de Gzennaya chantant les izran en 1934

Cependant, concernant l’objectif de citoyenneté et d’authenticité pour lequel se battent les Amazighs du Maroc, Marguerite Rollinde écrit : 

‘’L’objectif essentiel est la promotion de la langue et de la culture amazighes dans l’espace social marocain, mais il s’agit, à travers cela, de transformer le statut des Berbères dans l’espace étatique, notamment dans l’administration et l’enseignement et de casser le discours arabe qui minorise la berbérité. A travers le discours sur le pluralisme et la démocratie apparaît une demande de « citoyenneté » nouvelle qui ne met plus de côté les masses au profit de l’élite. C’est aussi une recherche d’identité qui met en avant l’africanité du Maghreb, plutôt que son arabité. Derrière le droit à la reconnaissance du peuple amazighe se cache le droit à. la démocratie, impossible tant que toute une partie de la société marocaine reste privée de ses droits. La lutte pour la cause amazighe fait alors partie de la lutte pour les droits de l’Homme.’’

Ce cadre général a été renforcé par le référendum du 1er juillet 2011 approuvant la constitution de la même année, qui stipule dans son 5e article que l’amazigh, après l’arabe, est une langue officielle de l’État et le patrimoine commun de tous les Marocains. Cette position confirme la volonté du Royaume d’ancrer la prééminence de la culture amazighe pour les générations futures.

Pour accélérer le processus d’institutionnalisation de l’amazigh, deux lois organiques ont été promulguées. La première est la loi 26-16, visant à définir le processus de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazigh, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique, rendue publique le 12 septembre 2019 (BO n°7000 du 01 juillet 2021). Le second concerne la création du Conseil National des Langues et de la Culture Marocaine via la loi 04-16. Il est dédié à la protection et au développement des langues arabe et amazighe et des différentes expressions culturelles et linguistiques marocaines, à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale, à l’enseignement et à la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde.

L’entrée en vigueur de ces deux lois organiques est primordiale, car elle institutionnalise le bagage culturel et ancestral du peuple amazigh, en incitant tous les acteurs de la scène sociale, éducative et politique à accélérer la mise en œuvre de ces lois, consacrant ainsi une véritable institutionnalisation de la culture et de la civilisation amazighes.

Sur la question de la citoyenneté démocratique et des langues, Ahmed Bououd argumente : 

‘’Les citoyens , pour bénéficier de leurs droits, de leurs libertés fondamentales et d’une égalité juridique et politique doivent être protégés de toute discrimination linguistique, afin de jouir de la liberté d’expression et de la liberté du choix de la langue ; ce qui leur permettra d’avoir le droit de s’exprimer, de transmettre leurs informations et d’écrire dans la langue de leur choix ; toute personne arrêtée ou détenue doit nécessairement être informée « dans une langue qu’elle comprend » ; aussi ,pour pouvoir participer à des associations, des mouvements culturels et des partis politiques et aux débats politiques en matière d’enseignement et d’apprentissage des langues dans leur pays plurilingue.’’

La trinité culturelle amazighe

Quelle que soit la manière dont on explique, ou croit, que les Amazighs d’Afrique du Nord sont arrivés dans la région, une chose est sûre : leur présence au Maroc est très ancienne et a eu une influence considérable sur le mode de vie et le sentiment d’identité et d’appartenance des Marocains contemporains (Tamaghrabit), sans parler de toutes les croyances païennes ou monothéistes à travers les âges.

Il existe spécifiquement et exclusivement trois thèmes principaux dans la culture amazighe qui sont définis comme une trinité importante et primordiale dans son système de valeurs et qui sont facilement identifiables dans la culture marocaine et nord-africaine d’aujourd’hui. Ces thèmes ont transcendé la culture amazighe et ont été largement acceptés comme concepts de base de l’identité marocaine. 

La trinité amazighe s’articule autour des notions suivantes : 

– L’importance de la langue en tant que véhicule de la culture et principal marqueur de l’identité (tamazight/awal) tant sur le plan de la communication que sur celui de la perpétuation de l’histoire et de la culture ;

– L’omniprésence du système fort et indivisible de la parenté et de l’appartenance à la famille élargie (tamount/ddam) qui s’exprime par la solidarité (twiza) et la coexistence (Ramân), ainsi que ;

– le lien étroit avec la terre et l’identification à ses bienfaits, ainsi que la croyance en son caractère sacré (tammourt/tamazirt/akkal), qui est également fort chez d’autres peuples du pourtour méditerranéen.

Le Rif

Dans le Rif, la trinité amazighe a toujours été un bouclier contre l’arabisation, l’européanisation et la mondialisation et elle a préservé non seulement la production matérielle, mais surtout la littérature orale et le mode de vie rifain. Dans les années 1950 et 1960, des milliers d’hommes jeunes et valides ont traversé l’eau, zwân amân, vers l’Europe pour aider à la reconstruction économique avec les fonds américains (Plan Marshall) après la Seconde Guerre mondiale, les femmes sont restées sur place pour perpétuer la culture amazighe sacrée, avec beaucoup de fierté, comme l’indique ce poème du clan Iharassen de la tribu Gzennaya rapporté par l’experte de l’histoire orale Nounja n-Abdesram: 

Argazen zwân amân a yemma / Les hommes ont traversé l’eau O mère

Thimgharin qimend dherrif zeffa / Les femmes sont restées en arrière

Nathnin khedmen sambra dhmenna / Ils travaillent dur sans attendre de glorification

Nshin ntegg rcezz swawar dher macna / Nous, les femmes, nous faisons la gloire avec des mots et un sens profond (culture)

Ces trois piliers (trois T culturels) de la culture amazighe originelle, et par extension de la culture marocaine d’aujourd’hui dans son ensemble, constituent indéniablement le socle de la notion très forte de tamaghrabit (appartenance à un Maroc multiculturel, diversifié et tolérant) qui lie les Marocains entre eux. En effet, si les Marocains d’aujourd’hui ne sont pas déchirés par des conflits ethniques, religieux, linguistiques et culturels, comme c’est le cas au Moyen-Orient depuis l’avènement du printemps révolutionnaire, c’est parce que l’on retrouve dans leur ADN les traces de cette trinité qui amplifie leur appartenance multiple et indivisible : 

– Appartenance amazighe ; 

– appartenance arabo-musulmane ;

– appartenance hébraïque ;

– appartenance méditerranéenne ; et

– appartenance africaine.

Ceci a été fortement reflété dans le texte de la constitution de 2011, qui se lit comme suit : 

‘’État musulman souverain, attaché à son unité nationale et à son intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen.’’

Aujourd’hui, le dialecte arabe (dârija) parlé par les Marocains est très différent de celui du Machrek, compte tenu de la forte influence de Tamazight sur ses aspects phonétiques, phonologiques, syntaxiques et sémantiques. En un mot, lorsque les Amazighs sont entrés en contact avec l’Arabe, ils l’ont amazighisé de fond en comble, et c’est pourquoi les Arabes du Moyen-Orient sont incapables de comprendre la dârija, alors que les Marocains comprennent leur idiome et le parlent avec aisance.

Les Marocains, eux aussi, grâce à l’influence de Tamazight, dont le registre phonétique est riche en sons divers, parviennent à apprendre et à parler les langues internationales avec un bon accent et une grande facilité. 

La tradition littéraire amazighe dans le Rif

Les femmes rifaines, en particulier celles qui sont pré-alphabétisées, préservent Tamazight en tant que langue vivante, en insufflant une certaine oralité aux formes artistiques traditionnelles afin de transmettre les traditions linguistiques de génération en génération. En musique et en poésie, les femmes amazighes du Rif utilisent leurs vers pour tenir la communauté informée des mouvements des membres individuels, pour raconter et enregistrer pour l’histoire orale les événements importants de la communauté, pour faire respecter les codes moraux et sociaux, et pour rappeler aux membres de l’ensemble de la communauté les liens qui les unissent. 

Cependant, pour Terri Brint Joseph, l’utilisation de la poésie par les femmes de la région du Rif est une stratégie de pouvoir, par laquelle elles montrent à la société dans son ensemble qu’elles possèdent le savoir culturel et qu’elles l’utilisent adroitement pour informer la communauté et orienter les jeunes sur le bon chemin.

En effet, Terri Brint Joseph, nous apprend par l’entremise de sa recherche sur les femmes dans le Rif entreprise durant les années 1965-66, que bien que les études anthropologiques sur le Moyen-Orient reconnaissent généralement le faible statut des femmes islamiques, la « mosaïque » complexe d’organisations sociales nationales, ethniques et tribales rend difficile toute déclaration précise et significative sur la région dans son ensemble. Même lorsqu’ils se concentrent sur un seul pays, les récits anthropologiques aboutissent à des conclusions contradictoires sur le rôle des femmes. 

Les ethnographes du Maroc comme Westermarck, Coon, Hart et Gellner se sont concentrés sur l’exercice du pouvoir public formel et ont ainsi souligné l’hégémonie des hommes sur les femmes. Cette notion de domination masculine monolithique et d’asservissement féminin a été quelque peu modifiée par des études récentes de la capacité des femmes à influencer les décisions masculines, une théorie du « pouvoir derrière le trône ». Certains anthropologues ont également soutenu que les femmes exercent un certain pouvoir direct grâce à des systèmes féminins de réseaux et d’alliances. 

Ajdir, Gzennaya

Les femmes rifaines et le pouvoir de la poésie

Les femmes rifaines, dans la société traditionnelles et coutumières ont toujours eu le pouvoir le ‘’pouvoir du mot’’ jahdh n-awâr. Un pouvoir certes discret, mais très pertinent craint par les hommes. Durant les festivités des clans de Gzennaya, les hommes se mettent avec diligence à écouter les chants de Ralla Bouya pour s’informer sur les différents clans et tribus.

Au fait, c’est quoi Ralla Bouya ? D’après la poétesse Dhamimount n-Siher d’Iharrassen, c’est une grande poétesse de la tribu de Temsaman qui était non seulement très belle mais aussi très éloquente et avait une belle voix. Les gens venaient de tout le Rif pour l’écouter chanter. Elle a vécu entre 1807 et 1837. Elle morte jeune lors d’un conflit tribal entre Gzennaya et Temsaman. Depuis, tous les izrâns du Rif portent son nom en hommage à sa poésie et son chant mielleux. 

Toujours d’après Dhamimount n-Siher, l’âme et l’ardeur de cette grande poétesse a habité depuis le cœur de tout aspirant chanteur et poète dans le Rif à tel point qu’on a appelé tout chant rifain Ralla Bouya et toute festivité qui ne débute pas par ce chant n’a pas de valeur artistique et culturelle. En effet beaucoup d’izrân dans Gzennaya et tout le Rif célèbre la grande dame Ralla Bouya :

Ralla Bouya, Ralla yemma inou icazzen /Dame Bouya, ma chère dame estimée

Dhjidhaneghd izrân dh rcazz inafdhen/ Tu nous a légué des couplets pleins de vie

 

Awar inem igga am dhammand n-raghna/Tes paroles et tes chansons sont mielleuses 

Yawadh snnaj gha dhqichet oujnna/ Elles sont montées en flèche au sommet du monde

 

Ntrah gha dhimourani gi ibacdhen/Nous voyageons dans les contrées les plus éloignées 

Awarinem a ralla inou yawwedh ghasen/et nous avons trouvé que tes paroles leur sont arrivées

Toutefois, Terri Brint Joseph, un ethnologue américain, qui a travaillé sur le sujet de : ‘’La poésie comme stratégie de pouvoir : le cas des femmes berbères rifaines / Poetry as a Strategy of Power: The Case of Riffian Berber Women’’ durant la période 1965-1966 écrit :

‘’Extrêmement brève, la chanson berbère est constituée d’un seul couplet. Chacune des deux lignes compte environ douze syllabes, bien que certaines n’en contiennent que neuf et d’autres jusqu’à quinze. Chaque chanson est introduite par un chœur traditionnel qui peut être répété aussi souvent que les chanteurs souhaitent :

Ayah-rala boyah-ayah rala boya

Ayah-rala boyah-ayah rala boya

Ayah-ra (la) boyah etc.

La plupart des Rifains interrogés dans le cadre de cette étude considèrent ce chœur comme une série de sons sans signification. On dit qu’on l’utilise parce que « c’est la coutume ». Plusieurs informateurs ont cependant rapporté que le ‘’a’’ initial est un vocatif comme le « oh » anglais ; on disait que yah-rala était une forme de madame ou lady, dans ce cas, la mère de la mariée ; et boyah une forme de baba, père. Un récit anthropologique a traduit le refrain par « Oh regarde, oh regarde la mariée. »’’

Production poétique contemporaine

Un bon signe aujourd’hui est que la production poétique emprunte des voies et des approches modernes, comme l’a déclaré Mohamed Daoudi : 

‘’L’un des thèmes récurrents de la poésie contestataire rifaine, comme on peut le constater dans ces poèmes, est le thème de la patrie et de la terre. Ce thème est également reflété de manière symptomatique dans les trois nouvelles incluses dans les textes rifains, bien que chacune d’entre elles ait un point de vue différent. ‘’Aliens in their Own Land » d’Ayned, l’histoire d’un jeune homme au chômage (très probablement un diplômé universitaire) qui vit à la campagne et visite la ville comme passe-temps, reflète la façon dont le chômage et l’absence d’opportunités exacerbent les tensions sociales au sein d’une famille patriarcale. Le sentiment qu’il ne se passe jamais rien au village et le désir de voir le monde extérieur anticipent la recherche d’alternatives. Dans une atmosphère de difficultés économiques et de répression politique, l’une de ces alternatives pourrait être le voyage périlleux vers l’Europe à travers la Méditerranée, sujet de la nouvelle d’El-Oualid Mimoun « La Mouette » (« Rɣawiyyeth »). Dans « Le béton qui a défiguré le hameau » (« Tsima iccin udem i dcar »), Saïd Belgharbi déplore la transformation progressive du paysage des villages rifains et l’urbanisation chaotique qui scelle le destin du système agricole relativement autonome d’autrefois, une idée qui est également sous-entendue dans la nouvelle d’Ayned à travers la charrue en bois cassée et l’incapacité ou le refus du protagoniste de suivre les traces de son père et de travailler dans les champs. Ironiquement, le béton dans la nouvelle de Belgharbi, une référence aux maisons nouvellement construites, est l’un des impacts directs de la nouvelle richesse des familles dont les membres ont émigré en Europe (Lazzar 1987 ; 2013).’’

Ces voies modernes empruntées par les Rifains lettrés sont un ajout bienvenu à la production littéraire dans la région, mais malheureusement, cela ne préserve en rien la tradition orale ancestrale dans le Rif, en général, et Gzennaya, en particulier. En fait, les Rifains vivant en Europe doivent accorder une grande attention à la préservation de la littérature orale par le biais d’un travail de collecte sur le terrain, de l’étude du matériel et de sa publication par la création d’un fond pour la recherche sur les savoirs traditionnels.

Production culturelle : Les femmes dans les arts matériels

Les femmes amazighes jouent également un rôle dans la production culturelle de leurs sociétés, mais elles sont aussi des acteurs clés dans la préservation de la culture et de la vie traditionnelles amazighes, même aujourd’hui. Leur travail dans les arts matériels est si riche et prolifique que Cynthia Becker, spécialiste des arts africains et de la culture amazighe, affirme sans équivoque que « les femmes berbères sont des artistes« . Leurs œuvres reflètent non seulement les thèmes de l’identité amazighe, mais aussi ceux de la féminité et de la maternité, qui rappellent le statut élevé des femmes dans cette société.

Tapis du Rif

Selon Fadhma n-Azrou Aqchâ, artisane locale, les femmes amazighes du clan Iharrassen tissent souvent des tapis pendant leur grossesse, en utilisant des figures et des motifs qui symbolisent la vie, la fertilité et l’enfant dans le ventre de sa mère. Ces tapis servent ainsi de calendrier pour tenir compte de la durée de la grossesse. Une fois terminés et sortis du métier à tisser, ils ne sont pas géométriquement parfaits : larges en haut pour symboliser la création de la vie dans l’utérus par la copulation et étroits en bas pour exprimer la naissance de l’enfant. La maîtrise artistique des femmes d’Iharrassen va même plus loin en créant 9 motifs dans le tapis pour exprimer les 9 mois de la grossesse. Ces tapis ne sont donc pas seulement une production artistique, mais aussi un langage artistique maîtrisé par ces femmes amazighes pré-alphabétisées et un calendrier pictural. 

Becker a même observé la personnification des textiles amazighs sur le métier à tisser pour symboliser le rôle essentiel des femmes dans la transmission de la vie et la préservation de l’identité amazighe : 

« Dans certaines régions du Maroc, les tisserands chevauchent physiquement les fils de chaîne et les ensouples du métier à tisser avant de les soulever, symbolisant ainsi la naissance du textile. Les femmes ont le pouvoir de vie sur un textile, et lorsque la tisserande l’achève, elle le coupe sur le métier, et l’on dit que le textile meurt. Cette personnification du textile souligne les pouvoirs de reproduction et de création des femmes et, en assimilant le textile au passage de l’homme dans le cycle de la vie, renforce le rôle des femmes dans la propagation de l’identité amazighe ».

Les femmes amazighes, véritables gardiennes de la tradition orale

L’oralité des femmes pré-alphabétisées d’Iharrassen est un facteur majeur de la survie de Tamazight, car elles utilisent la langue pour la communication domestique, l’éducation des enfants et la répétition des histoires populaires, des poèmes, des proverbes, des chansons et des récits familiaux et culturels. Comme la langue maternelle, le Tamazight et les langues amazighes apparentées, n’est pas la langue d’enseignement dans l’éducation formelle, c’est aux femmes amazighes qu’il incombe de transmettre la connaissance de la langue maternelle aux générations suivantes. En tant que premières responsables des enfants, les femmes sont le premier lien de ces derniers avec Tamazight, ce qui confère à la langue son statut de langue maternelle et consolide sa longévité en dépit de son manque de représentation dans la sphère publique. 

Une autre raison pour laquelle les femmes d’Iharrassen peuvent être considérées comme des acteurs clés dans la préservation de Tamazight réside dans leur rôle de gardiennes de la culture. En plus de s’occuper de leur foyer et d’élever leurs enfants, les femmes jouent un rôle essentiel dans la préservation du patrimoine artistique et culturel amazigh grâce à leur travail dans des domaines tels que le textile, la musique, la poésie et la danse. 

Là encore, les femmes pré-alphabétisées sont particulièrement importantes, car elles imprègnent ces arts de traditions orales transmises de génération en génération de leur savoir-faire traditionnel. Par exemple, les femmes donnent des noms en Tamazight aux motifs de leurs textiles et les transmettent à leurs filles. Les noms varient en fonction de la ressemblance que la tisseuse imagine entre le motif et les objets environnants ou le monde naturel, de sorte qu’un même motif peut porter une multitude de noms descriptifs en Tamazight pour différents artistes et familles. Le chant et la danse sont des traditions bien ancrées.

Le chant et la danse ont des traditions orales similaires dans le clan Iharrassen : les mouvements spécifiques ont également des noms amazighs descriptifs en fonction des actions qu’ils invoquent, et les paroles des chansons ne sont jamais écrites mais plutôt transmises oralement sur plusieurs générations. 

Les recherches de Katherine Hoffman sur la participation des femmes amazighes aux chants et à la musique illustrent le fait que le maintien de leurs traditions culturelles sert un objectif plus important que la préservation de la langue. En fait, elles sont le ciment même de la société à une époque où de nombreuses familles amazighes sont séparées géographiquement. Hoffman utilise l’exemple des femmes Ida-ou-Zeddout pour expliquer cet argument. 

Les femmes rifaines d’Iharrassen utilisent des couplets rimés connus sous le nom d’izrân. Ces paroles ne sont pas simplement destinées à divertir, mais à informer sur les migrations et les voyages des membres de la famille, ainsi que sur les événements sociaux à venir, tels que les mariages ou les festivals. Ainsi, même lorsqu’elles les chantent, les femmes amazighes servent à lier les membres disparates de leur communauté, en maintenant un sentiment d’unité malgré les difficultés liées à la séparation géographique (surtout l’immigration en Europe). L’importance particulière des couplets pour les communautés locales est illustrée par le fait que ce genre n’a jamais été commercialisé pour une consommation plus large, comme c’est le cas pour beaucoup d’autres dans les festivals de musique.

Poterie du Rif

La deuxième fonction des izrân est de raconter et d’enregistrer pour l’histoire orale les événements qui rassemblent la communauté. Tout comme ces vers sont souvent chantés pour annoncer l’arrivée des mariés lors des mariages locaux. Les izrân sont entendus chaque jour de ces célébrations qui durent plusieurs jours, et servent à recueillir dans la mémoire collective de la communauté les marques importantes de ces événements festifs.

Le troisième impact important des izrân sur la force des communautés amazighes est son rôle dans la création de liens de confraternité et le comblement des fossés entre les différents groupes tribaux, et donc dans la médiation des conflits potentiels. Là encore, cette fonction, comme les autres, illustre l’utilisation particulière des traditions orales et linguistiques des femmes dans le maintien de l’unité des communautés amazighes dans la région du Rif. Les rassemblements publics, tels que les mariages, peuvent prendre d’immenses proportions dans la culture amazighe ; les invités aux mariages, par exemple, peuvent être plusieurs centaines venues de différents clans ou même différentes tribus.

Ces événements sont l’occasion pour les différents groupes familiaux et tribaux de se réunir, les invités devant parcourir de longues distances pour y assister. Les conflits passés ou présents et les divergences d’opinion sont donc susceptibles de donner lieu à des discordes lors de ces grands rassemblements. L’un des rôles des izrân est de créer des liens entre les gens en articulant des normes morales et sociales collectives, étouffant ainsi le conflit dans l’œuf avant même qu’il ne commence en rappelant aux gens leurs points communs et en créant un sens de l’unité de la communauté tamount (un des aspects de la trinité amazighe mentionnée ci-dessus) et de la famille.  

En général, la responsabilité de faire respecter les codes moraux dans les communautés rifaines d’Iharrassen incombe aux femmes mariées les plus âgées. Elles encouragent l’unité en cas de conflit en jouant le rôle de médiatrices entre les différentes factions. Leurs chants servent à peu près le même objectif, avec des paroles qui parlent de la sécurité (ramân) mutuellement bénéfique que l’on trouve lorsque les villages et les groupes sociaux travaillent et vivent ensemble dans la paix. 

Oh, mon doux lait, fille de grande beauté

Souviens-toi de l’honneur, du respect et de la tradition

Fais de la ceinture de la pureté et de la sainteté ton idéal

Et mets-la autour de ta taille d’abeille pour toujours

Souris et sois gentille avec tous ceux qui t’entourent

Mais garde-toi pour toi, toujours propre

Demain, les habitants du village parleront de toi en bien

Et père, mère, frères et sœurs se réjouiront

Une autre raison pour laquelle les femmes des Iharrassen peuvent être considérées comme des acteurs clés dans la préservation de Tamazight réside dan


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