Plus de 24% des Marocains utilisent l’IA: ce qu’ils en pensent et quel usage en font les jeunes
Une enquête nationale de l’ANRT dresse un premier état des lieux de la place de l’intelligence artificielle au Maroc: à peine quatre Marocains sur dix disent connaître l’IA et seuls 24,1% déclarent l’avoir déjà utilisée. Pourtant, comme le souligne l’expert Salah Baïna, les jeunes se sont déjà largement emparés de ces outils, qu’ils mobilisent pour le soutien scolaire, la création de contenu ou leurs activités professionnelles, signe d’une transformation silencieuse mais profonde des usages numériques.
L'enquête nationale TIC 2024-2025 menée par l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) dresse un premier panorama de la connaissance et de l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) au Maroc. Les données révèlent une familiarité encore modeste: seules 4 personnes sur 10, âgées de 5 ans et plus, déclarent connaître l’IA. Cette proportion masque toutefois d’importants écarts, avec une nette avance du milieu urbain (43,6%) sur le milieu rural (20,6%).
Les différences se retrouvent également entre hommes et femmes: 44% des hommes affirment connaître l’IA, contre 34,9% des femmes. Globalement, une très large majorité des personnes informées ne dispose que d’une connaissance de base (70,9%), tandis qu’à peine 9,2% estiment en avoir une maîtrise approfondie.
Ces chiffres confirment que l’IA, malgré sa présence croissante dans les usages quotidiens et dans le débat public, reste encore peu appréhendée en profondeur. Ils mettent aussi en lumière un important potentiel de progression.
Près d’un quart de Marocains ont déjà utilisé l’IA
L’usage concret des applications d’IA progresse mais demeure relativement limité: 24,1% des Marocains ont utilisé une application d’IA en 2024, soit 1,26 million de personnes de plus qu’en 2023. Ici encore, l’écart urbain-rural est important: 32,8% des citadins ont eu recours à des applications d’IA, contre 11,4% des ruraux.
Les différences entre les genres persistent également, avec 32% d’hommes utilisateurs contre 16,4% de femmes. Malgré ces disparités, la satisfaction des utilisateurs est très élevée et homogène: 83% estiment que les résultats fournis par ces outils sont satisfaisants.
Ces indicateurs confirment une adoption naissante mais dynamique, tirée par les zones urbaines et une population plus familiarisée avec le numérique.
Une perception très positive de l’impact de l’IA
L’ANRT note un optimisme massif concernant les effets de l’IA: 98% des Marocains estiment qu’elle est bénéfique pour la société. Parmi eux, 67% la jugent bénéfique sans réserve et 31% la considèrent utile mais appellent à une certaine prudence.
Les domaines perçus comme les plus impactés positivement sont la concurrence économique entre États (83,6%), la recherche scientifique (78,9%) et les activités liées à la rédaction ou à la réalisation de travaux (respectivement 76,4% et 74,5%). Ces résultats témoignent d’une conscience collective des opportunités liées à l’IA.
Cet enthousiasme s’accompagne toutefois d’un réflexe de vigilance: près de 59% des utilisateurs vérifient systématiquement les informations fournies par ChatGPT et autres outils génératifs, signe d’une perception lucide des risques d’erreurs ou de biais.
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Ce que font les jeunes de l’IA
Salah Baïna, enseignant-chercheur à l’École nationale supérieure d’informatique et d’analyse des systèmes (ENSIAS) et expert en intelligence artificielle, interrogé par Le360, apporte un éclairage complémentaire sur les usages concrets, notamment chez les jeunes. «Les collégiens, lycéens et étudiants utilisent l’IA pour la recherche d’informations, le soutien scolaire, la rédaction académique ou encore la création de contenu», explique-t-il.
Pour les jeunes actifs, l’IA sert à améliorer CV, lettres de motivation, présentations, maquettes de projets ou encore du code informatique simple. Ces pratiques montrent que l’accès aux outils n’est plus un frein majeur: le véritable enjeu réside désormais dans la qualité de leur usage.
Cette appropriation croissante reflète une transformation profonde des manières d’apprendre, de créer et de s’organiser, dans un contexte où la maîtrise des outils numériques varie fortement d’un milieu à l’autre.
Triche, mésusage et fracture numérique: des risques bien réels
L’essor de l’IA n’est pas sans dérives. Salah Baïna rappelle que la triche aux examens reste un phénomène ancien, amplifié par les technologies mobiles plus que par l’IA elle-même. Toutefois, les groupes de messagerie permettent déjà de relayer des réponses produites par IA par des tiers à l’extérieur de la salle d’examen.
Les risques concernent aussi l’apprentissage: si l’élève se repose trop sur l’IA pour rédiger ou résoudre des exercices, «il n’entraîne ni ses capacités rédactionnelles ni son raisonnement logique». Les erreurs possibles de l’IA ou son manque de contexte peuvent par ailleurs induire en erreur les utilisateurs les moins expérimentés.
Le spécialiste rappelle également que l’IA peut accentuer les inégalités: ceux qui maîtrisent mieux les outils en tirent un meilleur profit, laissant les autres en retrait, en particulier dans les zones rurales ou parmi les ménages modestes.
Utilisée correctement, l’IA peut, au contraire, devenir un puissant outil d’apprentissage. Orthographe, grammaire, structure des devoirs, explications personnalisées, reformulation, traduction… L’IA peut accélérer la progression des élèves en facilitant les corrections et en s’adaptant à leur niveau de compréhension.
Elle peut aussi briser certaines barrières pour les élèves ayant des difficultés de langue, grâce à la synthèse vocale ou à la simplification de textes. Pour les jeunes créateurs, l’IA est un catalyseur de curiosité, d’exploration et de créativité, permettant de tester des idées ou produire des esquisses de projets.
Mais cette valeur ajoutée repose sur une condition essentielle: que l’IA reste un «coach» ou un «co-auteur», et non un substitut intellectuel qui dispense de réfléchir.
Pour encourager un usage responsable, Salah Baïna insiste sur la nécessité d’établir des règles claires dans les établissements: autoriser l’IA pour la recherche, les idées ou la reformulation, mais l’interdire lorsqu’il s’agit de rédiger intégralement un devoir noté. Les élèves doivent également être encouragés à indiquer l’usage qu’ils ont fait de l’IA dans leurs travaux.
Il préconise aussi d’habituer les jeunes à confronter les réponses de l’IA à plusieurs sources et à améliorer eux-mêmes les premiers jets fournis par les outils génératifs, afin de stimuler l’esprit critique.
Ces bonnes pratiques transforment l’IA en ressource pédagogique assumée, et non en outil de contournement utilisé dans l’ombre.
Enseignants, parents, institutions: une responsabilité partagée
Pour le chercheur, l’encadrement de l’IA nécessite une action conjointe de l’ensemble des acteurs éducatifs. Les enseignants doivent montrer en classe comment interagir avec l’IA, poser les bonnes questions, identifier les erreurs et en tirer des apprentissages concrets. Ils doivent aussi privilégier les activités collectives et vérifier la compréhension réelle des élèves pour limiter la fraude.
Les parents ont, eux aussi, un rôle crucial: fixer des règles d’usage, distinguer entre aide à la compréhension et réalisation complète des devoirs, et sensibiliser aux risques (arnaques, contenus inadaptés, protection des données).
Les institutions, enfin, doivent établir un cadre national clair, former massivement les jeunes aux compétences numériques (comme prévu par la stratégie Digital Morocco 2030) et soutenir le développement d’outils éducatifs en arabe et en amazigh pour réduire la dépendance aux solutions étrangères.
Les données de l’ANRT et les éclairages de l’expert convergent: l’intelligence artificielle s’implante progressivement au Maroc, avec une perception largement positive mais une utilisation encore inégale. Pour que ce potentiel se transforme en véritable levier de compétences, d’équité et de compétitivité, l’accompagnement éducatif et institutionnel sera déterminant.
L’IA peut devenir un atout majeur pour la jeunesse marocaine, à condition d’être utilisée avec discernement, encadrée avec rigueur et intégrée de manière responsable dans les parcours d’apprentissage.
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