
Tribune. Maroc: réinventer la recherche pour une université visible, exigeante et mondiale
La recherche universitaire marocaine est en retard par rapport aux standards internationaux, notamment à cause d’un sous-investissement chronique et d’un système qui ne valorise pas suffisamment la publication et le mérite scientifique. Pour y remédier, des réformes structurelles sont nécessaires, incluant une meilleure évaluation de la recherche, une formation aux standards internationaux, la mobilisation de la diaspora, et une diversification des financements, afin de propulser le Maroc vers l’excellence académique mondiale. Éclairage de Yassine El Yattioui, secrétaire général et chercheur associé au think tank NejMaroc.
En 2024, la recherche universitaire marocaine demeure largement en retrait par rapport aux standards internationaux, et cette situation se révèle particulièrement criante dans les sciences humaines et sociales. Faute d’un investissement public conséquent, cantonné à 0,75 % du produit intérieur brut contre une moyenne européenne supérieure à 2 %, les universités peinent à fournir les moyens matériels et immatériels nécessaires à la conduite de travaux de haut niveau.
De surcroît, l’absence d’exigences claires en matière de publication indexée renforce une culture universitaire axée prioritairement sur l’enseignement et sur l’ancienneté, au détriment du mérite scientifique et de l’innovation. Dans ces conditions, la plupart des revues scientifiques marocaines n’apparaissent pas dans Scopus, Springer ou Routledge, tandis que les établissements historiquement prestigieux, tels que l’Université Mohammed V de Rabat, se voient relégués en dehors du top 900 mondial et absents des classements QS. Ce constat ne se limite pas à un déficit quantitatif, il traduit également un manque de visibilité, un moindre impact académique et une difficulté à nouer des partenariats internationaux durables.
En premier lieu, les structures de gouvernance académique apparaissent largement inadaptées aux défis contemporains de la recherche. L’ancienneté, souvent considérée comme le principal critère de progression de carrière, ne répond plus aux critères d’excellence qui prévalent à l’échelle mondiale. Les comités scientifiques, lorsque leur existence est formellement prévue, se réunissent de manière sporadique et manquent de véritable suivi des objectifs de recherche. Par ailleurs, les indemnités de recherche ne sont pas corrélées à la production scientifique, ce qui ne favorise ni la motivation des enseignants-chercheurs ni leur engagement dans des projets ambitieux. De plus, les laboratoires souffrent d’équipements obsolètes, l’accès aux bases de données internationales reste restreint et les appels à projets nationaux sont trop rares pour susciter une dynamique de compétition vertueuse. Cette absence d’incitation et de pilotage contribue à un sentiment de stagnation intellectuelle et à la fuite vers l’étranger des jeunes chercheurs les plus prometteurs.
Parallèlement, la déconnexion entre la formation académique et les standards internationaux de la recherche constitue un autre facteur majeur de sous-performance. Les cursus de master et de doctorat intègrent trop peu de modules dédiés à la méthodologie de la recherche, aux techniques d’analyse quantitative et qualitative ou à la rédaction scientifique en anglais, langue de référence des publications à comité de lecture. En l’absence de formation rigoureuse et de tutorat sur les bonnes pratiques de publication, les doctorants et enseignants-chercheurs ne disposent pas des compétences nécessaires pour concevoir, structurer et diffuser des articles répondant aux exigences des revues internationales. Cette lacune se répercute inévitablement sur la qualité des thèses, sur l’employabilité des docteurs et sur la crédibilité de la recherche marocaine.
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En outre, le cadre réglementaire et administratif se révèle inopérant pour valoriser les ressources humaines formées à l’étranger. Les Marocains du Monde, qu’ils soient titulaires de doctorats dans des universités renommées ou qu’ils aient déjà publié dans des revues à fort facteur d’impact, voient leur parcours remis en cause à leur retour. Leur intégration au sein des universités publiques se heurte à des procédures rigides de reconnaissance des diplômes et à l’absence de validation automatique de leurs publications. Par conséquent, le pays perd une opportunité majeure de transfert de compétences. Il devient urgent d’instaurer un statut de professeur invité à plein temps, assorti de possibilités de codirection de thèses et de prise en charge de modules de méthodologie, afin de tirer parti de leur expertise et de créer des passerelles avec les chercheurs locaux.
Face à cette situation, il convient de mettre en place un cadre d’évaluation rigoureux, fondé sur des critères transparents et contraignants. L’idée n’est pas d’imposer une bureaucratie supplémentaire, mais de lier de manière explicite l’avancement de carrière, l’octroi d’indemnités et la titularisation à la réalisation d’un nombre minimal d’articles publiés chaque année dans des revues indexées. Cette démarche nécessite la création d’un comité national indépendant, composé de chercheurs nationaux et internationaux, chargé d’élaborer la liste des revues admissibles, d’évaluer la qualité des publications et de garantir une harmonisation des pratiques. Un tel dispositif encouragerait non seulement la production scientifique, mais également l’émergence d’une culture de l’éthique académique, où la rigueur, la reproductibilité et la relecture par les pairs seraient valorisées.
Simultanément, la formation initiale et continue doit intégrer de manière systématique des modules de méthodologie de la recherche, de statistiques appliquées et de rédaction scientifique, notamment en anglais. En effet, pour espérer contribuer aux débats intellectuels mondiaux, il est indispensable que les futurs chercheurs et enseignants-chercheurs maîtrisent les normes de publication internationales. À cette fin, des partenariats avec des universités de référence et la mobilisation de la diaspora pourraient alimenter des programmes de formation intensive, de mentorat et de codirection de thèses, renforçant la qualité des travaux et favorisant la constitution de réseaux scientifiques transnationaux.
Pour piloter et suivre ces transformations, la mise en place d’un Observatoire national de la recherche scientifique apparaît comme un outil stratégique. Cet observatoire, rattaché au ministère de l’Enseignement supérieur, aurait pour mission de collecter, d’analyser et de diffuser des indicateurs clés : nombre de publications indexées, montants des financements compétitifs obtenus, partenariats internationaux signés, impact social et économique des recherches. En comparant annuellement les performances marocaines à celles de pays de référence, il offrirait un cadre objectif de benchmarking et permettrait d’ajuster en temps réel les politiques publiques. De plus, la transparence induite par la publication régulière de ces indicateurs pourrait renforcer la responsabilisation des universités et stimuler une saine émulation.
Dans une perspective comparative, l’exemple de l’Espagne illustre une trajectoire inspirante. Il y a vingt ans, les universités espagnoles faisaient face à des défis similaires : faibles investissements, absence de culture d’évaluation et faible production de recherche indexée. Or, grâce à la création de l’Agence nationale d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, à la mise en place de dispositifs tels que le programme Ramón y Cajal, et à l’augmentation progressive du budget de la recherche, l’Espagne a considérablement renforcé sa position dans les classements mondiaux. Parallèlement, des pays asiatiques tels que la Malaisie ou la Corée du Sud ont investi massivement dans les infrastructures de recherche, les partenariats industriels-académiques et la formation avancée des enseignants-chercheurs, générant un bond qualitatif et quantitatif des publications. Si le Maroc parvenait à adapter ces bonnes pratiques à son contexte, il pourrait enclencher, à moyen terme, une dynamique comparable.
Au-delà des réformes institutionnelles et financières, il est essentiel d’opérer une prise de conscience collective au sein de la communauté académique marocaine. Les doyens, responsables de faculté et enseignants-chercheurs doivent reconnaître que la production d’articles indexés ne relève pas d’une simple contrainte administrative, mais constitue une condition sine qua non de l’excellence universitaire. Publier avec rigueur dans des revues internationales favorise la diffusion des connaissances, renforce le prestige des établissements et consolide un patrimoine intellectuel transmis aux générations futures. À cet égard, il revient aux instances dirigeantes de promouvoir une culture de l’exigence, en valorisant les initiatives de publication, en finançant la participation à des conférences internationales, en diffusant des guides de bonnes pratiques et en organisant des ateliers de relecture et de critique constructive.
Par ailleurs, l’implication proactive des enseignants et des doyens peut se traduire par la création de fonds internes dédiés au soutien de la publication, la mise en place de journées scientifiques thématiques, l’encouragement à la co-publication avec la diaspora et les partenaires étrangers, ainsi que l’accompagnement personnalisé des jeunes chercheurs. En assurant un soutien matériel et méthodologique, les universités peuvent lever les barrières à l’entrée et instaurer un environnement où la recherche devient un vecteur d’évolution collective, plutôt qu’une activité marginale.
Enfin, pour garantir la pérennité de ces transformations, il est nécessaire de diversifier les sources de financement de la recherche. Outre l’augmentation progressive du budget national jusqu’à atteindre 1 % du PIB, conformément aux recommandations de l’UNESCO, le Maroc doit explorer les opportunités offertes par les partenariats public-privé, les financements de l’Union européenne, les contributions d’organisations internationales et les mécénats locaux. Ces ressources complémentaires permettraient de financer des appels à projets compétitifs, de soutenir des chaires de recherche et de renforcer les infrastructures, tout en diminuant la dépendance à un financement exclusivement étatique.
En somme, la sortie de crise de la recherche universitaire marocaine repose sur une approche intégrée, alliant réformes institutionnelles, formation méthodologique, pilotage transparent, mobilisation de la diaspora, prise de conscience collective et diversification des financements. À défaut d’une telle stratégie concertée, le pays risque de maintenir sa position marginale dans la production scientifique internationale, au détriment de son développement socio-économique et de sa capacité à former une élite capable de relever les défis du XXIe siècle. Au contraire, en s’inspirant des modèles espagnol et asiatique, en adaptant les bonnes pratiques à ses réalités et en suscitant une culture de l’excellence au sein de ses universités, le Maroc pourrait, en l’espace de cinq à dix ans, transformer son système de recherche et hisser durablement son enseignement supérieur vers les hautes sphères du savoir mondial.
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Mots Clés : Recherche | Universitaire | Maroc | Excellence | Publication | Réformes | Diaspora | Financements .